Solidarité des entreprises : de Notre-Dame au Covid-19, quelles leçons ?

Dans les situations de crise, les réactions des grands groupes et de leurs patrons sont scrutées avec attention, leur générosité a parfois été très critiquée. Comment les entreprises agissent-elles concrètement pour éviter cet écueil ?

Le 15 avril 2019, la cathédrale de Notre-Dame à Paris brûle, suscitant une vague d’émotion immense à travers le monde. Les images saisissantes bouleversent les citoyens français qui voient, impuissants, partir en fumée une part de leur histoire. Très vite les promesses de dons des entreprises affluent, apportant avec elles polémique et suspicions envers les donateurs.

Presque un an après, le monde est touché par le coronavirus, parti de Chine, se répandant inexorablement vers l’Italie pour arriver en France. Le virus tue des milliers de personnes sur son passage et le pays entier se retrouve confiné pour tenter d’éviter l’hécatombe. Les médecins, infirmiers, brancardiers, aides-soignants sont mobilisés mais le gouvernement actuel, tout comme les précédents, n’ont pas donné les moyens nécessaires aux professionnels de santé pour combattre le fléau dans des conditions correctes. Tous manquent de places en réanimation et de matériel.

Certaines entreprises comme H&M et Adidas sont montrées du doigt en Allemagne pour avoir suspendu le paiement du loyer de centaines de leurs magasins à cause du confinement. Les deux enseignes étant largement bénéficiaire, la démarche a été jugée comme indécente par la ministre de la justice allemande. Malgré la crise économique qui accompagne la crise sanitaire, d’autres entreprises veulent s’investir dans l’effort national mais l’épisode de Notre-Dame rend la solidarité délicate. Comment soutenir et communiquer sur son action caritative sans paraitre opportuniste ?

Dons en compétence et en nature : une mise à disposition des savoir-faire et de ses productions

Au moment de l’incendie de Notre-Dame, la communication autour de la mise à contribution des talents des entreprises, comme ceux d’artisans dont les précieux savoir-faire permettant de préserver le patrimoine avaient été bien accueillis.

Pour le coronavirus, le personnel médical fait savoir immédiatement que ses ressources en matériel sont totalement insuffisantes pour affronter un tel fléau. Le gouvernement parle de gestes barrières, des protections à mettre en place mais la pénurie de masques et de gels hydroalcooliques est déjà criante sur tout le territoire français. Des entreprises de différents secteurs se sont manifestés rapidement en communiquant leurs intentions de mettre à profit leur savoir-faire : c’est le cas de l’industrie du parfum ou du textile. Les collaborateurs sont sollicités pour adapter leurs compétences en fonction des besoins de première urgence. LVMH convertit ses lignes de productions de parfums Guerlain, Dior ou Givenchy pour fabriquer et offrir en quantité des gels hydroalcooliques. L’Oréal, Pierre Fabre ont fait des actions équivalentes, L’Occitane a de plus fourni des savons et des crèmes pour les mains aux soignants. LVMH affrète un avion pour participer au pont aérien entre la Chine et la France pour livrer des millions de masques. Le groupe de mode Inditex (propriétaire de Zara) met aussi à disposition leurs usines et leurs équipes pour fabriquer et donner des blouses et des masques.

Le grand couturier Giorgio Armani produit dans ses usines italiennes des combinaisons pour le personnel médical, Aux Etats-Unis, des gros industriels vont fabriquer des respirateurs comme General Motors ou Tesla. Dyson, célèbre fabriquant d’aspirateurs a mis au point en 10 jours

D’autres secteurs ont décidé de donner directement du matériel. Le groupe Bouygues, présent dans l’immobilier, les travaux, les télécoms et les médias, a annoncé le don d’un million de masques. Les secteurs des vins et spiritueux ont donné des stocks d’alcool disponibles pour permettre la fabrication de de gels hydroalcooliques, c’est le cas de Ricard qui fournit de 70.000 litres d’alcool pur. L’industrie hotellière montre son soutien en mettant à disposition des chambres pour le personnel soignant, comme le groupe Accor (Ibis, HotelF1, Novotel, Mercure) qui propose également  « 1.000 à 2.000 lits pour accueillir les personnes sans abri sur tout le territoire ».

Dons financiers : une contribution monétaire fléchée et plus discrète

Lors de l’incendie la cathédrale Notre-Dame, les grands groupes ont annoncé en fanfare des montants exorbitants et ont surenchéri dans les promesses de dons, 100 millions pour Kering, puis 200 millions pour LVMH. Les réactions ne sont pas faites attendre. Si certains ont salué la générosité, d’autres ont déploré que les grands groupes ne participent pas davantage à l’effort de générosité en faveur d’autres causes et ils se sont retrouvés accusés de vouloir faire de la communication ou de détourner l’argent public en utilisant les réductions fiscales propres à la loi sur le mécénat. Dans le contexte de la pandémie du Covid-19, promettre haut et fort des centaines de millions paraitrait complétement inopportun et choquant : d’abord, parce des millions de personnes sont dans des situations précaires à cause du chômage technique et d’autre part, car l’argent ne suffit pas à endiguer une pandémie active. Ce contexte de crise est unique car les dons des entreprises sont nécessaires et attendus alors qu’elles sont elles-mêmes touchées très durement économiquement.

Les entreprises font donc le choix d’annoncer des dons financiers de façon plus discrète avec des sommes restant parfois inconnues. C’est le cas du groupe Kering qui a réalisé une donation financière « exceptionnelle » à l’institut Pasteur pour soutenir la recherche sur le Covid-19, montant demeuré secret. Ainsi la maison Chanel précise garantir 100% des salaires des employés du groupe et des manufactures avant même d’informer sur sa promesse de don de 1.2 millions d’euros à la Fondation de l’AP-HP, la Fondation Georges Pompidou et le Samu.  Danone et son patron engagé Emmanuel Faber a lui aussi annoncé aux 100 000 employés la garantie de leur salaire. La démonstration de puissance financière n’est donc plus à l’ordre du jour et la course pour annoncer sa mobilisation non plus, la contribution financière se fait avec plus de pudeur que lors de l’épisode de Notre-Dame.

Lorsque les montants donnés sont communiqués, les entreprises précisent aussi à qui et à quoi sont particulièrement destinés les sommes versées. Les clubs de football le PSG ou l’OL ont annoncé des dons de plusieurs centaines de milliers d’euros auprès de différentes associations comme le Secours Populaire, en précisant bien à quoi serviront ces fonds : aux plus démunis touchés par le coronavirus.

Plaidoyer et appel aux dons : des entreprises qui jouent collectif

Une initiative nommée #ProtegeTonSoignant a été lancée par un groupe d’entrepreneurs. Devant la lenteur des services publics une vingtaine de start-uppeurs, habitués à une gestion agile de l’entreprise, ont mis en place non seulement une campagne de crowdfunding sur Leetchi, mais assurent également les commandes et les livraisons de matériel aux hôpitaux en un temps record.

Certaines grandes entreprises ont aussi décidé de mobiliser leur communauté en faisant appel aux contributions des clients, des salariés et des followers de la marque. Ainsi Gucci a lancé une initiative de crowdfunding sur son site internet où la #GucciCommunity est appelée à faire un don auprès du Fonds de Solidarité pour l’OMS.  Relayant cet appel à la solidarité Gucci rappelle aussi les gestes barrières auprès de ses 70 millions d’abonnés. 

Les entreprises sollicitent également les clients à travers les achats de produits, ainsi Clarins s’engage à verser un euro au fonds Covid-19 pour chaque commande effectuée sur son site. Sézanne a mis en ligne une collection dont 10% des ventes seront directement reversés au fonds d’aide d’urgence des hôpitaux de France.

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